Mos Def: The Ecstatic
Depuis la création du duo Black Star avec Talib Kweli, Mos Def a toujours recherché la diversité musicale. Son Black On Both Sides (1999) restera à jamais comme son œuvre majeure, appréciée à sa juste valeur tant par les aficionados que par la critique. Dès lors, Dante Terrell Smith opte pour une ligne artistique qui se détache d’un rap dit « traditionnel », proposant une fusion originale entre rap, rock, blues et soul en 2004 avec The New Danger après avoir quitté le label Rawkus pour Interscope/Geffen Records. Une prise de risque qui est tout à son honneur, mais qui lui attire tout de même de vives critiques. Cette sorte de retour aux sources devait marquer le début d’une ère brumeuse pour le rappeur qui semble alors plus convoiter la toile (Something the Lord Made, 16 Blocks, Talladega Nights: The Ballad of Ricky Bobby, Cadillac Records, Be Kind Rewind) que la chaleur étouffante des studios. Conséquence : son troisième album Tru3 Magic paru en 2006 est un flop monumental…
Le talentueux rappeur de Brooklyn à la voix et au flow si personnels se devait de remonter la pente, réaffirmer son amour pour le Hip Hop et retrouver ce charisme artistique qui lui avait permis d’effleurer la perfection à la fin des années 1990.
Difficile donc, lorsque les sirènes du cinéma semblent plus séduisantes que le rythme des bpm, de revenir en studio. S’attaquer à un nouvel album et retrouver les premières extases n’est pas une mince affaire. Pour cela, Mos Def se dote d’un titre ultra positif qui semble vouloir exprimer le retour du bonheur indicible, celui du plaisir ineffable de créer. Mais qu’en est-il réellement ?
A première vue l’ensemble paraît solide grâce notamment à la participation de trois producteurs talentueux : Oh No (frère de Madlib), Madlib lui-même et le défunt J Dilla. Dans la logique des choses l’apport de ces pointures est un gage de qualité ce qui rend le projet crédible. Quant aux featurings, on ne distingue que la présence du compère de toujours Talib Kweli, le maître du story telling Slick Rick ainsi que la chanteuse Georgia Anne Muldrow. Alléchant non ?
Hé oui, très alléchant même lorsqu’arrive le titre inaugurateur « Supermagic », reposant sur un riff de guitare subversifdu morceau « Ince Ince » de la turque Selda Bagcan. La surprise aurait été totale si cette véritable boule électrique sur laquelle The Boogie Man fait glisser un flow sûr n'était déjà connue sous le nom de « Heavy » parue sur Dr. No's Oxperiment. Il en va de même pour « Auditiorium » et « Wahid » qui ne sont que des versions rappées de « Movie Finale » et « The Rip Off (Scene 3) » du Beat Konducta vol. 3-4 et à laquelle Mos Def n’apporte pas grand-chose, tout comme l’excellente production de Dilla « History » déjà entendue auparavant. Une telle compilation pourrait faire passer l’album pour une mix-tape et c’est là un des points faibles de l’opus. Le fait de reprendre plusieurs instrumentaux peut être considéré à la fois comme un manque d’originalité, du simple remplissage ou peut être tout simplement comme une incapacité du rappeur à s’entourer correctement pour un projet sérieux. Ajoutons à cela des productions pâles, presque lymphatiques comme « Roses », « Revelations », « Twilite Speedball » ou « No Hay Nada Mas ». ¡Que pena ! dirons nous, le temps passe très lentement, on en vient à s’impatienter et à espérer que le morceau suivant sera le bon…en vain.
Heureusement de très bons titres s’extirpent de cette mollesse ambiante, bien qu’ils se comptent sur les doigts d’une main. « Casa Bey » nous offre un instant funk à souhait sur un sample de Banda Black Rio, alors que « Life In Marvelous Times » se veut plus introspectif et oppressant, grâce à un crescendo électro qui prend aux tripes comme rarement. Notons aussi le classicisme mais non moins efficace de la production de Preservation sur « Priority » s’articulant autour d’une délicate boucle de piano et d’un chœur de trompettes qui permettent à Mos Def de développer un rap fluide.
Alors voilà, pour se faire une idée simple et rapide de l’album enlevez les titres déjà connus, vous n’obtiendrez plus grand-chose excepté trois ou quatre morceaux de bonne facture. L’opus semble avoir été réalisé « à la va vite » un peu à la manière de « Tru3 Magic » sans trop de sérieux, en tentant de montrer un semblant d’intérêt pour la chose. Dès lors un choix doit s’imposer pour le boogie man, faire du cinéma ou de la musique. Même si les deux ne sont pas incompatibles Mos Def ne semble pas pouvoir tenir les deux dans un parfait équilibre. Nous on préférait quand il s’investissait dans le son.