Madlib: Beat Konducta vol.5-6

Publié le par Crazy Horus

 


Il aura fallu attendre l'année 2009 pour que Madlib rende ce précieux hommage au respecté Jay Dee aka J Dilla depuis leur collaboration sur l'album Champion Sound. Qui d'autre aurait pu le faire aussi bien que cet alter ego ? Véritable cinglé de musique, collectionneur invétéré de vinyles, ce professeur fou n'hésite pas à se terrer des heures entières dans son Bomb Shelter afin de se livrer à des expériences musicales baroques, restant renfermé sur lui-même un peu à la manière d'un MF Doom derrière un masque de fer. Marqué au fer rouge par des écoutes prolongées de Sun Ra, Thelonious Monk, Herbie Hancock, Melvin Van Peebles ou encore par le reggae-dub fumeux de Lee Scratch Perry ou de Desmond Dekker, Madlib nous distille depuis quelques années une musique dont lui seul a le secret. Fin sampleur, celui-ci échantillonne, décortique, découpe tous les sons qu'il trouve afin de produire un son unique pour des albums qui restent comme suspendus dans le temps. Depuis ses débuts avec Lootpack sur l'album mythique Soundpieces: Da Antidote, ce musicien exalté multiplie les projets les plus singuliers. Passant d'une seine schizophrénie avec les albums de Quasimoto (rappeur à la voix gonflée à l'hélium), à un magnifique rap/jazz mandaté par Blue Note sur Shades of Blue ou en fondant le mystérieux Yesterday's New Quintet, Madlib semble vouloir continuer l'expérience musicale jusqu'à l'épuisement. Nous en sommes déjà au Beat Konducta vol. 5-6, les précédents ont été une expérimentation heureuse, notamment grâce à l'exotique Beat Konducta vol. 3-4 in India. Celui-ci ne déroge pas à la règle.

Madlib est donc de retour en ce début d'année 2009 et à une date précise, celle de l'anniversaire de la mort du génial producteur de Détroit. Toujours les doigts collés sur une multitude de machines, ce producteur/rappeur un peu halluciné s'est de nouveau enfoui dans son studio en plein cœur d'Oxnard, à l'ombre du soleil brûlant de Californie. En ressort deux volumes (réunis en un cd), soit une quarantaine d'instrumentaux à la beauté éphémère. Car Madlib ne semble pas avoir changé le concept si frustrant consistant à distiller des beats d'à peine deux minutes. Ceci peut paraître court, mais comme le disait lui-même Jay Dee au mircro de Frédéric Hanak : « Il n'y a pas de format pour un album. Un disque de 33 minutes est un album. Un morceau de 16 minutes est un album. Un morceau de 59 secondes est un morceau. Un beat, une basse, un synthé, une loop, un décalage, une basse qui se laisse enrouler par le piano. Une note est un morceau… »

Suivant un angle de vue purement instrumental à la manière des Special Herbs d'MF Doom, Madlib nous fournit un opus classieux et à la soul onctueuse (« For My Mans », « The string », « No more time ? », « Rebirth Cycle », « Dillalade Ride », « The Sky »). Hommage musical dont la saveur reste proche d'un Donuts, garni de basses ronflantes sur lesquelles le nom de J Dilla  se  grèfe pour revenir comme un leitmotiv. La musicalité passe ainsi par des lignes de basses arondies, des beats épurés à la froideur métallique qui rappelleront les friches  industrielles de Detroit, dont la mine austère  est ponctuellement relevée d'une atmosphère paisible (« J's Day Theme »).

Rarement Madlib n'aura atteint un tel niveau de finesse, liant le jazz le plus select issu de sa cave à disques, à la soul la plus fiévreuse, la plus raffinée ("For My Man" et son pitch emprunté à Don Blackman) teintée d'une touche rock décalée (sample des Buzzcoks), mais toujours cohérente. De cet ensemble homogène émane une subtilité remarquable, fruit d'années de recherches, de journées interminables à piocher à droite à gauche dans les bacs à disques les plus improbables pour un rendu qui redonne autant la vie à ces vieux morceaux qu' à son vieux pote J Dilla. Travail d'orfèvre, comme le pratiquait Jay Dee, l'amour de la musique ne doit pas se cantonner à un seul style. La règle : faire preuve d'ouverture, de curiosité et absorber un maximum d'influences musicales, afin de  produire un hip-hop riche de cette diversité culturelle. Il n'est pas exagéré de penser que le regretté producteur de Detroit aurait largement admiré le travail de ce Beat Konducta peut-être le plus beau et le plus abouti de tous. Madlib, demeure un artiste exceptionnel loin des oripeaux d'un rap mercantile, toujours en quête de renouvellement, prêt à endosser le rôle d'un autre imaginaire quitte à se perdre  lui même dans cette onomastique sans fin. Alors lorsque Peanut Butter Wolf directeur du label Stones Throw a eu l'impression d'avoir accueilli une quinzaine d'artistes lorsqu'il a fait signer Madlib, on peut facilement comprendre pourquoi.
 

 

Chronique publiée pour Rap2k.com

 

Publié dans Rap

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